Bienvenue au club

La maison peut désigner la demeure matérielle mais aussi métaphoriquement une grande famille.

La maison, en ce sens, écrit Marc Augé, se construit et perdure contre toutes les ruptures possibles. "Le temps de la résidence, comme les règles ou les usages auxquels elle obéit, est quant à lui un temps purement humain, fortement socialisé, commandant les étapes de la vie humaine individuelle limitée dans le temps et dont une série de ruptures brise la continuité (1)."

La cérémonie d'intronisation qui se produit lors de l'anniversaire de Georges Laurent (ses 85 ans) est particulièrement édifiante. "Ève partagera notre vie", annonce Anne Laurent, aux personnes réunies, qui l'applaudissent. Ève est sidérée. Son grand-père se contente de lui dire lors d'un repas, sur un tout autre registre : "Bienvenue au club." La grande famille est devenu un club. On continue d'entretenir le mythe mais plus personne n'y croit.

"Les enfants sont aimés à condition de remplir les objectifs narcissiques que les parents n'ont pas réussi à accomplir eux-mêmes", écrit André Green (2). Georges Laurent n'a pas beaucoup de considération pour ses enfants. Son fils médecin a refusé de l'aider à mourir, mais ce refus est la preuve sans doute pour lui de son manque de courage en général. Anne Laurent n'a pas non plus beaucoup d'estime pour son fils. Lui-même l'a d'ailleurs intégré : "Je vaux rien (3)." La décision de le démettre de ses fonctions signe la chute de cette maison.

Le "meurtre" du fils

Après la mort de sa mère, Ève ramasse quelques affaires dans la maison où elle vivait en Arles, que son père met en vente, et part sans se retourner. Une maison agréable, selon la responsable de l'agence immobilière. Ève lui répond poliment, on entend les cigales, mais elle voit les choses autrement. Elle quitte cette région ensoleillée pour Calais. Mais ces catégories (le chaud, le froid) ne s'appliquent pas ici, comme si tout se valait. À Calais, quand Ève et son père se retrouvent sur la plage, elle commande une glace. Son père reçoit un appel (de sa maîtresse). Quand elle le rejoint, il lui tourne le dos. Elle l'entend, mais il ne la voit pas, comme quand, au tout début du film, elle filme sa mère, à son insu.

Notes

1. Domaines et châteaux, Seuil, 1989.
2. Narcissisme de vie, narcissisme de mort, Les Éditions de minuit, 1983, p. 238.
3. On a affaire à un deuil impossible, explique André Green : ""Jamais je n'ai été aimé" devient une nouvelle devise à laquelle le sujet va s'accrocher et qu'il va s'efforcer de vérifier dans sa vie amoureuse ultérieure."