L'apiculteur

Cependant notre homme plantait, entre des ronceraies, des légumes en lignes espacées et, en bordure, des lis blancs, des verveines et du pavot comestible.
L'extrait
 
Ainsi je me souviens d'avoir vu, au pied des tours de la haute ville d'Œbalos, là où le noir Galèse arrose de blondissantes cultures, un vieillard de Corycus [ville de Turquie du sud] qui possédait quelques arpents d'un terrain abandonné, un fonds qui n'était pas bon pour les bœufs de labour, ni propice au bétail, ni propre à Bacchus. Cependant notre homme plantait, entre des ronceraies, des légumes en lignes espacées et, en bordure, des lis blancs, des verveines et du pavot comestible ; dans sa fierté il égalait ses richesses à celles des rois, et quand tard dans la nuit, il rentrait au logis, il chargeait sa table de mets qu'il n'avait point achetés. Le premier, au printemps, il cueillait la rose, et des fruits à l'automne, et quand le triste hiver faisait encore par le froid éclater les pierres et de sa glace immobilisait les eaux courantes, lui déjà émondait la chevelure de la souple hyacinthe, en se raillant du retard de l'été et de la lenteur des Zéphyrs.
 
Aussi le premier il avait en abondance abeilles fécondes et nombreux essaims, il pressait les rayons pour en extraire le miel écumant ; pour lui les tilleuls et le pin donnaient à foison, et autant l'arbre fertile, en sa parure de fleurs nouvelles, avait promis de fruits, autant il portait encore de fruits mûrs à l'automne. Il transplanta aussi pour les mettre en lignes des ormes déjà grands, le poirier déjà dur, des épines donnant déjà des prunelles, et le platane fournissant déjà son ombrage aux buveurs.
 
(Les Géorgiques, Les Belles Lettres, IV, 125-146)

Remarques

Ce vieillard de Tarente (Œbalos) est un apiculteur, son jardin est peuplé de plantes mellifères. Le livre IV est très largement consacré à l'élevage des abeilles. Virgile les compare à de "petites Romaines". Elles naissent de la putréfaction du cadavre d'un veau. Voir notamment v. 149 et suiv. : "Pensant à la venue de l'hiver, elles se livrent l'été au travail et mettent en réserve pour la communauté ce qu'elles ont butiné." La vie régimentée des abeilles constitue un modèle idéal. "Parmi les habitudes chères aux abeilles, relève Virgile, celle-ci vraiment est merveilleuse : elles ne s'abandonnent pas à l'accouplement, elles ne s'énervent point, indolentes, au service de Vénus." (v. 197 et suiv.)

La vie des paysans est-elle enviable ? Ces lignes édifiantes – les rois n'ont qu'à bien se tenir ! – ne disent rien de la condition des esclaves. L'esclavage ne devient véritablement un problème que dans l'Europe médiévale. Le rapport à la terre change à ce moment-là.