Le "bonheur" des paysans

O trop heureux les cultivateurs, s'ils connaissaient leur bonheur !
L'extrait
 
O trop heureux les cultivateurs, s'ils connaissaient leur bonheur ! (O fortunatos nimium, sua si bona norint, agricolas !) Loin des discordes armées, la terre d'elle-même leur prodigue avec une justice parfaite une nourriture facile (facilem victum). S'ils n'ont pas une haute demeure dont les portes altières vomissent le matin, hors des salles bondées, un énorme flot de clients venus apporter leurs salutations, s'ils ne désirent pas, bouche bée, des chambranles incrustés de belle écaille, ni des étoffes où l'or se joue, ni des bronzes d'Éphyré [ancien nom de Corinthe], s'ils ignorent l'art de teindre la blanche laine dans la drogue assyrienne et d'altérer par un mélange de cannelle la pureté de l'huile qu'ils emploient, du moins ils ont un repos exempt de soucis, une vie qui ne connaît pas la tromperie (at secura quies et nescia fallere vita), qui est riche en ressources variées ; du moins ils ont la tranquillité et de larges horizons, les grottes et les bassins d'eau vive ; du moins ils ont les fraîches vallées (Tempe : désigne au propre la vallée de Tempé, en Thessalie), les mugissements des bœufs et les doux sommes sous un arbre. Là on trouve les pacages boisés et les tanières des bêtes, une jeunesse endurante à l'ouvrage et accoutumée à la sobritété, le culte des dieux et la piété filiale ; c'est là que la Justice, en quittant la terre, a laissé la trace de ses derniers pas.
 
(Les Géorgiques, Les Belles Lettres, II, 458-474)

Remarques

Une vision idyllique de l'agriculture ("la terre leur prodigue une nourriture facile"). Mais comparer avec le Livre I : "Le Père des dieux lui-même a voulu rendre l'agriculture difficile."