Le retour du refoulé

Le New Yorker publie sur son site une critique du film Ida, de Pawel Pawlikowski. Presque tout dans cette histoire, qui se situe en 1961, renvoie aux années de guerre et aux séquelles qu'elle a laissées. Dans un pays, la Pologne, qui a presque entièrement été détruit, deux femmes tentent de recoller les morceaux.

P. Pawlikowski le dit clairement : "Tirer les ficelles au cinéma, user des trucs habituels, ça ne m'intéresse plus du tout." On pourrait penser qu'Ida est un film statique, sauf que chaque plan produit de l'émotion, il y a de l'électricité dans l'air. Les images sont d'une telle intensité qu'elles aiguisent nos sens. Pawlikowski s'est débarrassé des scories, il a fait place nette. La plupart des scènes ne sont plus que de longs plans fixes. Une unique source de lumière découpe les visages. Les personnages sont parfois décentrés dans l'image. Au-dessus d'eux, on a de grands pans de ciel gris. La désolation de ces paysages en hiver, beaux et oppressants à la fois, crée un certain malaise.

Pawlikowski n'a pas fait un film "réaliste" tel qu'on l'entend généralement. "Minimaliste", plutôt. Le bruit des cuillers des religieuses pendant le repas capte notre attention. On est happé aussi par l'ennui que provoquent ces longs trajets en voiture sur ces routes de campagne.

L'enquête est intense émotionnellement parlant mais l'action est décousue, comme dans la vie. Entre ces deux femmes, il se passe quelque chose. Leur relation se transforme irrémédiablement en même temps que la place qui leur est dévolue dans le cadre. Pawlikowski a visiblement taillé dans les dialogues. Ce que l'on en retient, c'est précisément ce qui compte. Le film est en cela à la fois dense et ouvert. Le spectateur y a sa place.

Une fois que l'on a mis à jour ce passé, comment continuer de vivre ? En essayant de répondre, on ne peut qu'être pris de vertige.

"Ida": A Film Masterpiece
David Denby
The New Yorker
27/05/14