Les faiseurs

Pour Otar Iosseliani, aujourd'hui, les films sont bavards. Rien ne se passe sur l'écran. Or, il y a un langage cinématographique.

"Les textes que l'on prononce au cinéma, ça n'est ni Shakespeare, ni Molière, ni Schiller, ni Goethe. Si un film est chargé de dialogues – "Bonjour", "Comment vas-tu ?", etc. – ça n'est pas du cinéma, c'est de la radio. Quand tout est compréhensible, ils parlent quand même ! Vous pouvez fermer les yeux et comprendre tout, si vous connaissez la langue. Rien ne se passe sur l'écran. Le métier de cinéma se divise en plusieurs facettes. La plupart des gens qui font le cinéma, ce sont les faiseurs de cinéma. Ils ne connaissent pas la musique, la peinture, ils ne vont pas au théâtre, ne lisent pas. Il y a une autre catégorie qui lutte avec les moyens qui leur tombent entre les mains. La troisième catégorie, ce sont les philosophes. Ils cherchent à transmettre tout ce que l'on pense sur le phénomène de la vie.

La caméra, c'est un instrument que tous les salopards peuvent tenir en main. Avec Chantrapas, il fallait mettre les points sur les i. Le cinéma, c'est de plus en plus le domaine du commerce. Quand votre pinceau et votre toile coûtent des millions, vous ne pouvez pas être un peintre libre. Beaucoup de gens quittent le cinéma. Il ne faut pas subir la règle du jeu imposée par le mauvais goût du public. Ce mauvais goût du public, on l'a éduqué, par la télévision, la machine d'Hollywood qui distribue les songes et les rêves au lieu de s'occuper de tout ce qui se passe autour de nous, de faire une vraie analyse."

(France culture, 21/05/14)

Son dernier film, Chantrapas, est sorti en 2010. L'expression "remonte à la fin du XIXe siècle. Les familles aisées de Saint-Pétersbourg amenaient leurs enfants à des maîtres de bel canto italiens pour leur apprendre le chant. À l'époque, l'aristocratie russe parlait français, donc les Italiens avaient appris deux mots lorsqu'ils sélectionnaient les enfants : "chantera" et "chantera pas". Ensuite, "chantrapas" est devenu un nom commun : les chantrapas étaient les bons à rien, les exclus…" (Le Figaro, 21/09/10) Nicolas, le personnage principal, est "moins un artiste maudit, victime de la société, qu'un individu cherchant, coûte que coûte, son autonomie, qui n'est pas celle que mériterait un génie incompris mais plutôt celle qui consiste finalement à ne vouloir rendre de comptes à personne". "Son art est soumis aux tracasseries de la bureaucratie et de la censure. […] Son obstination à rester lui-même est l'âme du film." (Le Monde, 21/09/10)
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France culture
Laure Adler
21/05/14