Œil pour œil

Cet entretien avec le psychanalyste Gérard Bonnet, auteur de nombreux ouvrages, a été publié pour la première fois dans la revue Argos en avril 1998.
J’appelle dispositif visuel la "machinerie" inconsciente qui nous permet de gérer notre désir de voir. Cette pulsion est telle que nous sommes tentés de faire n'importe quoi pour voir et mettre en visualisation tout ce qui se passe et tout ce qui nous arrive. Cela s'inscrit dans une vieille tradition philosophique, remontant à Platon, qui conçoit l'esprit comme une machine à voir ou à donner à voir, à mettre en images. D'un point de vue analytique, je me place sous cet angle-là.
 
Dans l'inconscient, ce dispositif visuel se met en place du fait que notre poussée à voir est d'abord construite sur une violence exercée sur tout ce qui bouge. Le bébé "fusille" tout ce qui passe sous ses yeux, il regarde et détruit avec une jouissance extraordinaire qui se manifeste par exemple dans les jeux que Freud a décrits (jeu de la bobine). Le jeu, très constructif, du "faire advenir-détruire" représente le b.a.-ba du visuel. La vision est fondée sur un système binaire qui ressemble à celui du dispositif numérique actuel. Nous sommes constamment dans ce système-là sans en avoir conscience, c'est la respiration visuelle (on cligne d'ailleurs des yeux sans arrêt).