Inventaire de l'image

Pour aider à voir, on dresse la liste de ce qui est sur l’image. Cette énumération est grosse d’apprentissages divers et peut être menée en deux temps.

Premier temps, celui des icônes

Un très grand nombre d’images représentent des objets du monde. Elles ont, de ce fait, une valeur et une fonction que l’on nomme "iconique". Les élèves sont conviés à établir l’inventaire de ce qu’ils trouvent sur l’image. Il faut une boîte à outils bien fournie pour y parvenir, ce qui ne s’établit pas en une seule fois. Savoir repérer et nommer les objets, savoir les détailler, savoir leur attribuer des valeurs… Ne serait-ce que savoir par où commencer : en haut, en bas, à gauche, à droite, par le fond ou par le premier plan, sans les distinguer, par les personnages et par lequel ? On ne répond pas ingénument à de telles questions, qui sont celles qui fondent toutes les anthropologies : espace, temps, acteurs et valeurs. Et pourtant, dans la classe, un parti est à prendre. Heureusement, le choix est ouvert. On organise la lecture en fonction du projet que cette lecture d’image sert à réaliser (découvrir la publicité, écrire un texte, comprendre un roman ou un documentaire, etc.). Enfin, jusqu’où aller dans l’analyse de détail ? Est-il possible de déclarer saturée la description d’une image ? Est-il nécessaire de chercher à l’épuiser ? L’important est de montrer que la lecture est à ordonner pour répondre aux questions que la classe se pose.

À partir de ces identifications, on avance vers la reconnaissance des motifs. Rude saut, deux exemples. Dans un tableau, une jeune femme portant la tête coupée d’un homme sur un plateau, puisque l’on a identifié les éléments, ne sera pas confondue par un regard pressé, avec une jeune femme mettant la tête coupée d’un homme dans un sac. Sans doute, mais comment en arriver à nommer Salomé (ou Judith) ? Il existe des dictionnaires et des encyclopédies qui permettent d’y parvenir, mais ils sont bien trop peu nombreux. Ou bien, il faut lire les textes qui parlent de la mise à mort de Jean-Baptiste et de Holopherne. Alors qu’il sera peut-être plus facile de qualifier cette publicité pour un grand magasin parisien où de jeunes hommes aux cheveux de nuit se précipitent pour suivre une femme dont on ne montre que le manteau rouge et le panier dans lequel se trouvent un petit pot de beurre et une galette. Facile, pour tous les enfants ? C’est ici que le travail de l’enseignant est décisif et indispensable, comme médiateur vers ces savoirs. Tout un travail d’initiation aux cultures peut se faire en ces occasions. Pour comprendre ce qui est vu. Ce travail étant fait, il ne faut pas oublier les mots, ceux qui, le plus souvent dans notre tradition culturelle européenne, accompagnent les images (sur, dans, à côté, derrière). Pour l’enseignant, il faut ici faire le choix des outils qui permettent d’analyser ce donné linguistique : grammaire de phrase ou grammaire de texte ? Les résultats, selon le choix, diffèrent.

Second temps, plastique

Cet apprentissage est particulièrement important, puisqu’il donne accès aux éléments qui constituent matériellement l’image. Redoutable aussi, parce que, s’il n’est pas ciblé, il sombre dans une énumération dépourvue de sens. Plusieurs aspects sont à envisager. Le cadre, d’abord. Aussi bizarre que cela puisse paraître, il faut souvent faire remarquer qu’une image est limitée par son cadre (qu’il soit ou non matérialisé), qu’elle n’est pas une fenêtre ouverte sur un monde, mais un choix visuel présenté. Pourquoi avoir ainsi délimité cette image ? De plus, pour la plupart des images, il existe un vocabulaire technique qu’il est indispensable de découvrir pour comprendre le travail du producteur de cette image. Les photographes (et les cinéastes) ont leur langage (plan, champ, plongée, cadre, montage, etc.). Les peintres en ont un autre, les dessinateurs scientifiques ou les cartographes un autre encore. Faut-il connaître tous ces termes techniques ? Lesquels sont indispensables ?

Bien que l’on ait, souvent, affaire à des reproductions, il est utile d’identifier la matière et le support (peinture à l’huile, aquarelle, mine de plomb, fusain, encre, diodes, sulfures, toile, papier, pellicule, écran, chiffon, vernis, laque, etc.) parce que le producteur a tenu compte des effets que ces matières et ces supports peuvent servir ou produire. Pourquoi a-t-il choisi ce médium ? Quels effets particuliers produit-il sur le spectateur ? Pourquoi cette image est-elle reproduite ? Autre domaine à explorer, celui des lignes, des formes et des couleurs. Immensités qu’une image n’épuisera pas, qu’il faut parcourir et reparcourir. Cela permet de comprendre comment est construit l’espace visuel qui est montré et de pointer le travail rhétorique nécessaire pour produire de tels effets. D’où les questions : pourquoi telles et telles lignes, formes et couleurs ? Quels effets produisent-elles ? De quoi nous parlent-elles ? On aborde un continent que les cultures européennes ont organisé pour atteindre un niveau de complexité étonnant : le parcours est sans fin.