Les variétés du français

La question de la consistance linguistique de ces parlers se pose également. Quand on dit qu’il y a un "français" du Sénégal ou de Côte d’Ivoire, que veut-on dire ?

S’agit-il d’une autre langue ? D’une variété linguistique ? Portant sur quoi ? Le lexique ? Des constructions syntaxiques différentes de celles du français de France ? Des pratiques communicationnelles ? La tâche des sociolinguistes est de bien décrire ces différents types de français pour savoir si l’on a affaire à d’authentiques variétés qui sont susceptibles d’être enseignées. On peut imaginer que l’école sénégalaise en français décide de valider un certain type de registre qui serait propre au Sénégal ou à certains contextes africains et qui ne serait pas nécessairement le français de France. Mais cela heurte bien des habitudes. Dans la formation des enseignants, par exemple, la référence littéraire – davantage la littérature française que les littératures francophones – reste une référence dominante.

Ces deux approches – sociolinguistique et didactique – coexistent et continuent de faire débat dans les milieux scolaires.

"Très souvent, les variétés ne sont pas perçues par les enseignants,
d’où le rôle décisif de la formation."

La sociolinguistique se fait beaucoup avec des enquêtes de terrain. Cette connaissance est très importante parce que beaucoup d’enseignants ne veulent pas se rendre compte que ces pratiques linguistiques existent, il faut donc leur montrer avec des corpus, des enregistrements, toutes sortes d’instruments quelle est la réalité linguistique de ce qu’ils entendent ou perçoivent. On ne peut pas prendre les variétés en compte dans l’enseignement si on ne les perçoit pas. Et, très souvent, elles ne sont pas perçues.

Je suis par exemple frappé par le fait que dans les contextes créolophones, les enfants eux-mêmes n’arrivent pas à décider s’ils parlent français ou créole, quand on leur pose la question. Ils ne savent pas ! Ils parlent quelque chose qui ressortit à l’un et à l’autre. On peut comprendre qu’il n’y ait pas d’identité linguistique clairement constituée dans leur tête. C’est en effet une opération difficile qui nécessite un certain recule métalinguistique, toute une attitude devant la langue que précisément l’école vise à développer.

La formation joue un rôle décisif en ce que les enseignants peuvent prendre ainsi conscience de ces phénomènes. Ils ont la possibilité de les repérer empiriquement dans la classe, ce qui est fondamental.