Images/Attentes

Nous nourrissons une attente particulière de l’image, différente de celle que l’on a du langage verbal, par exemple.

On admet qu’un discours verbal, même scientifique ou très "honnêtement" journalistique, a une vérité relative que nous adoptons ou non en fonction de nos convictions et de nos préoccupations. On n’admet pas cela de l’image. On veut qu’elle soit vraie, c’est-à-dire que l’on veut pouvoir la croire ou y croire. En effet, le voir et le croire sont, on le sait, plus intimement liés que le lire (le dire) et le croire. De plus, la relation entre le voir et le croire varie selon que l’image visuelle est fabriquée (dessin, peinture, image de synthèse) ou enregistrée, prélevée sur le réel (photographie, vidéo, film et d’autres dont nous reparlerons).

Ainsi, on a fait de la ressemblance la spécificité du signe image, déterminant une attente particulière déjà dénoncée dès l’Antiquité par Platon pour qui elle n’est qu’apparence d’apparence, imitation médiocre et mauvaise, éloignant de la vérité. Aristote, au contraire, jugera l’imitation, et l’imitation visuelle en particulier, bonne et éducative, susceptible de conduire à la vérité. Il est important de noter à ce sujet que le débat sur l’image bonne ou mauvaise ne date pas d’aujourd’hui et que d’emblée elle est jugée à l’aune de la vérité, ce que l’on ne fait pas pour le langage. Pour la rhétorique, un certain usage du langage, oui, mais pas pour le langage en tant que tel.

Mais la capacité de prendre des images visuelles (ou sonores) du monde, elles aussi ressemblantes le plus souvent, va déterminer un autre type d’attente, un désir de confusion entre l’image et ce pour quoi elle est mise. On oubliera volontiers que, même enregistrée, l’image est le résultat d’un choix du cadrage, de l’angle de prise de vue, des couleurs, des formes, du support, du sujet, des figures et ainsi de suite. L’image, fortement ressentie comme une trace (ce qu’elle est) plus que comme imitation, se devra d’être vraie non plus d’une vérité correspondantiste, comme dans le cas de la ressemblance, mais d’une vérité essentielle. Ce que nous voyons et entendons n’est pas mis pour le monde mais est le monde même. La ressemblance n’est même plus absolument nécessaire. Les images traces emportent l’adhésion "aveugle" du spectateur parce qu’elles sont traces : ainsi en est-il par exemple des témoignages voilés et de plus en plus fréquents que l’on peut voir à la télévision, visages masqués, silhouettes obscures, voix déformées dont la force de conviction ne dépend plus de la reconnaissance visuelle ou sonore (on ne voit rien, on n’entend presque rien) mais du prélèvement, du "vol" de réel. Ce type d’attente et d’adhésion s’étend aussi aux images traces autres que la photographie telles que celles de l’imagerie médicale (les échographies), les images scientifiques (microscope ou téléscope électronique, télédétection, infrarouge, chaleur, etc.). Le spectateur non initié ne reconnaît rien mais croit le discours scientifique ou journalistique tenu sur de telles images : le discours (verbal) du spécialiste. Provoquées par les ondes lumineuses, sonores, calorifiques, émanant de l’objet même, ces images se confondent d’autant plus volontiers avec lui qu’elles réveillent en nous l’écho des "premières" images, profanes ou religieuses : traces de main, masques mortuaires, Mandylion ou icône byzantine. L’image trace, consubstantielle à ce qu’elle représente, nous reliant ainsi à la mort et au sacré, pose la question de la fonction de l’image. La fonction ici est métaphysique et Platon le reconnaît aussi, qui distingue deux types d’images, l’image peinte, image inutile, voire nuisible, de charlatan, et l’icône, ombre ou reflet, image trace, outil de connaissance (Mythe de la caverne).