Parenthèse

"J'ai lu pendant l'été 1987 dans un quotidien du soir un article, qui faisait partie d'une série, dont l'argumentation – je schématise – revenait à ceci : on a critiqué en son temps le Balzac de Rodin, donc les colonnes de Buren sont belles. Je ne suis pas près de me soumettre à ce genre de terrorisme intellectuel. Outre qu'on pouvait raisonnablement douter que l'œuvre de Rodin fût très propre à remplir la fonction d'un monument public, l'argument d'autorité ne m'impressionne pas davantage qu'on le mette à l'envers ou qu'on le laisse à l'endroit."

Ces propos de Claude Lévi-Strauss, rapportés dans De près et de loin (1), n'ont rien perdu de leur saveur. Chéreau s'est fait siffler à Bayreuth à une certaine époque, donc Olivier Py est un génie (2). Dans les années soixante, les séries n'étaient pas prises au sérieux, donc Borgen est une œuvre exceptionnelle (3). Comme Starsky et Hutch qu'il faudrait réévaluer ?

Peut-on tout mettre sur le même plan ?

Voici ce que Philippe Jaccottet écrit dans La Seconde Semaison : "À propos de L'Esprit du temps d'Edgar Morin. il tient beaucoup à se distinguer de certains intellectuels qui pleurent sur le déclin de la culture. Fort bien. Mais quand il évoque l'"analogie frappante" entre les héros d'Homère et ceux des feuilletons de la presse populaire, on aimerait, par simple souci de rigueur, qu'il dît ensuite un mot de l'abîme qui les sépare […] Ses analyses emportent souvent l'adhésion par leur pertinence ; jusqu'au point où, trop soucieux de ne pas être pris pour un intellectuel nostalgique, il refuse de juger. Et il est remarquable qu'une des rares occasions où il perde sa pondération soit celle où il écrit : "La culture de masse pose un problème de fond. Ce n'est pas le problème de sa valeur artistique. Opposer Debussy à Louis Armstrong est insuffisant, ridicule. Ce n'est pas le problème de sa valeur humaniste. Opposer Montaigne à Dean Martin, Socrate à Jerry Lewis est une ânerie." Au contraire, tout le problème est là, celui de la distance considérable qui sépare les sculptures des porches romans de la BD, et Montaigne de Dean Martin. S'il ne laisse percer quelque agacement qu'à cette occasion-là, n'est-ce pas significatif ? C'est comme si l'on prétendait nier toute différence d'altitude entre l'Everest et les Buttes-Chaumont (4)."

Si l'on en croit Eric Rochant, "certains épisodes des Sopranos ou de Mad Men sont aussi subtils que du Bergman (5)".

Notes

1. De près et de loin, Claude Lévi-Strauss, Didier Éribon, Odile Jacob, 2009, p. 240-241.
2. Olivier Py s'est fait siffler à Paris le soir de la première de Aida, le 10/10/13. "Olivier Py’s production is a vulgar ceremony of unsubtle, recycled stagecraft", juge The Financial Times, dans un article paru le 13/10/13. Les "idées de mise en scène", ça ne suffit pas, faisait remarquer Patrice Chéreau, lors d'une rencontre au Louvre le 07/11/10.
3. "Depuis son lancement en 2010, la grande force de Borgen a toujours été de mêler étroitement l'intimité de ses personnages avec l'histoire politique et sociale en train de s'écrire au Danemark. Rarement série aura réussi à porter à un si haut niveau d'exigence la rigueur de l'écriture et la précision des scènes. Les dix nouveaux épisodes ne dérogent pas à ce subtil équilibre qui rend Borgen si passionnante, du début à la fin. Tout l'art du scénario est de faire vivre les décisions politiques, les choix stratégiques d'un parti ou d'un gouvernement simplement avec des dialogues tirés au cordeau. L'action, réduite à son strict minimum, se concentre dans l'alternance des scènes intimes et publiques. Tout en offrant un regard acéré et sans concession sur le milieu médiatico-politique (qui sort largement du cadre danois), ses grandeurs, ses misères, ses compromissions et ses idéaux. Un régal." N'en jetez plus ! "Borgen", Le Monde, 03/10/13.
4. La Seconde Semaison. Carnets (1980-1994), Gallimard, 1996, p. 190-191.
5. "Séries françaises : tout reste à faire", Le Monde, 28/11/13.